La stèle de Rudesse
appelée aussi le menhir ou la borne de Rudesse
Une voie romaine à Bouée ?
L'histoire de la Gaule n'est pas dans les bibliothèques mais dans le sol... (M. de Petigny)

par Alain Monnié
Mise à jour 26 août 2021

Une stèle, une borne, un menhir ?


La pierre de Rudesse

Une recherche menée sur place au moment de l'enfouissement de canalisations vers Cordemais n'a pas révélé de traces de voie romaine.

Des éléments de chemins antiques auraient été observées en provenance de l'Angellerais sur le Sillon de bretagne. Ceci semble tout à fait plausible et l'analyse topographique pousse à croire que c'est bien par ce chemin que l'accès à la Loire devait se faire le plus aisément.

Fraslin parle également d'observations de lieux empierrés au lieu-dit "Les Rochettes" près de l'étier du Syl. On se trouve bien loin d'une voie vers Rohars!

On imagine mal qu'aucun vestige d'une voie romaine ne subsiste alors qu'une borne d'itinéraire serait intacte. D'habitude c'est plutôt le contraire qui se produit.

Dans l'antiquité l'espace entre La Bouquinais et Rohars devait être très souvent sous les eaux de l'estuaire et les rochers de Rohars d'un accès difficile.

Comment la pierre de Rudesse pourrait elle constituer une preuve d'un chemin ou voie antique vers Rohars puisqu'elle ne s'y trouve pas? Elle n'est pas non plus située dans la plaine alluvionnaire mais bien en limite des terres émergeantes de Bouée et pourrait se trouver sur tout autre chemin allant vers la Loire ou même marquer une limite.

Le Haut Chemin se trouve de 7 à 10 mètres au dessus de la plaine de Rohars et représentait un accès plus naturel à la Rivière de Loire.

page sur la topographie de Bouée

Page sur Rohars

Il faut savoir aussi que les romains, lorsqu'ils créaient leurs voies, évitaient les forêts pour des raisons de sécurité et les marais et tourbières pour des raisons de praticabilité.

Alors que les voies romaines étaient traçées, creusées et aménagées et possédaient un soubassement d'un mètre minimum, les chemins du réseau secondaire finançés par les autorités locales ou même les propriétaires utilisaient beaucoup plus les accidents naturels du terrain.

voir
La Bouquinais
et Rohars

 

Sur la route de Rohars au lieu-dit la Gautrais on observe une pierre dressée en plein champ en face de Rudesse. Sur les cartes on la définit comme étant un menhir.
Sa nature et sa fonction ont alimenté longtemps les spéculations.

A l'évidence il ne s'agit pas d'un menhir car elle est polie alors que les menhirs sont toujours constitués de pierres brutes ou grossièrement taillées.
Aujourd'hui on sait qu'il s'agit en fait d'une stèle gauloise du second âge du fer, période allant environ du Vème siècle avant JC jusqu'à l'occupation romaine.
Outre la confirmation par des universitaires spécialistes de l'Histoire ancienne, la comparaison avec des photos de différents types de " pierres debout " ne laissent plus aucun doute.

Mais dans la région une autre hypothèse avait été souvent avançée.

Elle serait une borne milliaire en limite d'une voie romaine !

L'existence d'une voie romaine allant de Blain à Rohars est couramment invoquée par des auteurs d'articles, sites Internet ou livres. Certains disent même, que dans l'antiquité, Rohars était l'avant port de Blain, cité des Namnètes.
Compte tenu du nombre de textes qui y font référence on pourrait espérer que tous ces auteurs se basent sur des données scientifiques indiscutables et sur des travaux archéologiques crédibles et vérifiés concernant notre commune.
Et bien non et il ne suffit pas de répéter les mots magiques de voie romaine (çà fait toujours bien dans un livre... ) ou borne milliaire (voire militaire..!) à propos de Bouée et Rohars pour qu'une légende deviennent réalité.
Quand à des relevés archéologiques sur Bouée il n'y en a jamais eu et cela n'a pas été la moindre de mes surprises de le découvrir !
D'où vient l'information de départ, qu'est-ce qu'une voie romaine justifiant la présence de bornes milliaires, que pouvait être la réalité de l'accès à la Loire dans l'Antiquité à Bouée et en particulier à Rohars ?
Essayons d'y voir un peu plus clair.

La naissance d'un mythe

Tous ces textes, dont le nombre pourrait conforter l'idée, ont en fait une origine unique, une note écrite au XIXème siècle par François Ledoux et surtout les interprétations hasardeuses qui en ont été faites.

En 1875 François Ledoux historien et archéologue amateur de Savenay publie un article dans le Bulletin de la Société Archéologique de Nantes et du Département de la Loire Inférieure - pages 59 et 60 bulletin N°14.
Il précise, en préambule, qu'aucun archéologue n'avait signalé jusqu'ici de voie romaine dans la région de Savenay.
Il s'agit donc bien du premier écrit sur ce sujet pour notre région.

Dans cet article, intitulé NOTE SUR DEUX VOIES ROMAINES TRAVERSANT LA COMMUNE DE SAVENAY, et après avoir signalé des vestiges qu'il considère comme provenant de la voie de Nantes à Vannes, il affirme qu'il existait aussi une voie venant de Blain et aboutissant à la Loire probablement à Rohars en la commune de Bouée.
L'autre voie qu'il me reste à décrire est beaucoup plus apparente. Elle venait de Blain et aboutissait à la Loire, probablement à Rohars.
Mais il indique qu'il a arrêté ses recherches à la limite de notre commune et ne parle pas de la borne de Rudesse alors qu'on peut supposer qu'une borne milliaire près de chez lui, si rare en Loire–Inférieure, ne lui aurait pas échappé.

L'archéologue amateur Louis Jacques Marie BIZEUL, notaire à Blain (1785 - 1861) consacra une grande partie de ses loisirs à l'étude des voies romaines et soutenait que Blain, dont il était natif, était Corbilo le port celte dont parle Pythéas et était devenue la capitale des Namnètes.
Mais ses travaux, qui ont inspiré beaucoup d'archéologues locaux de l'époque, doivent être remis dans le contexte du XIXème siècle et soumis à la critique. Du reste ses collègues ne s'en sont pas privés !
Ce qui nous intéresse c'est que F. Ledoux affirme que Bizeul ne devait pas connaître la voie de Blain à Savenay car, dit-il, un peu ironique, dans son ardeur chevaleresque pour sa cité il n'aurait manqué de la citer à l'appui de son opinion...

En 1882 Pitre de Lisle du Dreneuc reprend dans le bulletin - N° 21 page 114 - l'affirmation de Ledoux :
La voie romaine de Blain à Savenay se prolongeait jusqu'à la Loire, à la Ville de Rohars, en passant par différents points relevés par M. Ledoux de Savenay
Or ces points ne concernaient pas Bouée puisque Ledoux avait bien précisé s'être arrêté au bord de notre commune.
Il signale, d'autre part, un menhir dans un champ nommé Les Rudesses et précise qu'il a une forme de cône tronqué. Il n'est toujours pas question de borne milliaire.
Il est à noter que Pitre de Lisle du Dreneuc se contente de rapporter les découvertes de Ledoux, il ne s'agit pas de recherches personnelles.
Mais la voie de Blain à Savenay aboutissant à la Loire probablement à Rohars est devenue une voie de Blain à Rohars et le lecteur pourrait croire que des observations ont été faites sur Bouée, or il n'en est rien.

En 1908 Léon Maître archéologue parle de la voie dans le bulletin N° 49.
De Blain, dit-il, elle va directement sur Bouée. Mais il cite en référence les écrits de Ledoux de 1875 et ne prétend à aucune découverte personnelle. Là non plus pas de borne milliaire à Rudesse pour étayer ses écrits.

En 1925 D. Barthélémy dans un article du bulletin 65 intitulé "Une cité ignorée de la Loire Inférieure : la Ville de Rohars" reprend les affirmations précédentes.
Cet article est très intéressant lorsqu'il décrit une flotte de bateaux espagnols à Rohars au XVIème siècle à partir d'un document que l'auteur a découvert dans les archives nantaises. Il contient également des recherches historiques sur notre petit port, crédibles lorsqu'elles sont bien documentées.
Mais il est plus sujet à caution sur l'existence de cette voie romaine et sur ce qu'il dit de la pierre de Rudesse.
Curieusement il rapporte que Bizeul et autres archéologues dont L. Maître auraient suivi de Blain à Rohars les traces d'un chemin et apporte comme preuve encore visible de l'existence d'une voie romaine la présence de la pierre de Rudesse fichée près de l'antique voie, tout près de Rohars, dit-il.
Il pense qu'il ne s'agit pas d'un menhir mais qu'elle est une borne milliaire de voie romaine ce qui est nouveau car aucun archéologue ne l'avait remarqué auparavant...
Pour autant il reconnaît qu'il n'y a pas d'inscriptions, qu'il suppose effacées, mais trouve qu'elle rappelle absolument les bornes placées le long des voies romaines.
Le tour est joué, notre pierre est devenue borne milliaire* d'une Via Romana de Blain à Rohars grâce à Barthélémy qui n'avait pas du en voir beaucoup pour être aussi catégorique...
*Barthélémy parle bien de bornes milliaires et non militaires comme il est transcrit par erreur sur des copies du document original qui circulent à Bouée, y compris à la bibliothèque.

Les incohérences

- Barthélémy invoque Bizeul mais celui-ci, d'après Ledoux, ne connaissait pas la voie de Blain à  Savenay et du reste il n'en a jamais parlé.
Bizeul aurait donc parcouru une voie qu'il ne connaissait pas !
- La pierre ne se trouve pas tout près de Rohars mais bien sur le plateau de Bouée c'est à dire en bordure des terres émergentes
et en limite de la plaine alluviale à la Gautrais en face de Rudesse. Rohars est à près de 2kms.
On peut seulement dire qu'elle se trouve sur la route de Rohars.
- Une borne milliaire ne se trouve pas près d'une voie mais bien le long de la voie dont elle fait partie intégrante.
- Pitre de Lisle du Dreneuc justifie son affirmation d'une voie de Blain à Rohars par des relevés de Ledoux qui se sont en fait arrêtés à la route Savenay - Saint Etienne de Montluc (D17) en dehors de notre commune.

Tout vient bien de cette phrase de François Ledoux en 1875 :
L'autre voie qu'il me reste à décrire est beaucoup plus apparente. Elle venait de Blain et aboutissait à la Loire,
probablement à Rohars.
Ensuite Barthélémy, seul, a eu cette révélation :
La pierre de Rudesse ressemble absolument à une borne milliaire.
François Ledoux est à la recherche de ce qu'il appelle, d'une façon très générique, une voie romaine, qu'il vaudrait peut être mieux désigner par voie secondaire ou voie de communication antique, et il n'a pas prétendu pour autant découvrir une Via Romana impériale.
On peut admettre qu'il a réellement observé des traces d'anciens chemins antiques, mais au XIXème siècle on ne se préoccupait pas de distinguer les véritables voies romaines du réseau secondaire.
Il a très bien pu toutefois déceler des traces de chemins qui accédaient au fleuve à Bouée.
Il n'est pas encore question de notre pierre debout et Ledoux n'est même pas catégorique quant à l'accès à Rohars.
En tout cas il a le mérite d'être le seul à argumenter à partir d'observations personnelles sur le terrain, observations qui se sont arrêtées, je le rappelle, à la limite de Bouée.
Ce n'est qu'à partir de 1925 et l'article de Barthélémy que la stèle de Rudesse est devenue subitement une borne de voie romaine, la légende était en marche !

Dans la Carte Archéologique de la Gaule*, concernant la Loire Atlantique et publiée en 1988, Michel Provost, professeur d'histoire romaine à l'Université de Clermont II, fait un inventaire complet des publications de F. Ledoux, P. Lisle du Dreneuc et D. Barthélémy sur Bouée.
Il se moque un peu de ce dernier auteur qui, dit il, a transformé le menhir de Rudesse en borne milliaire, et sa conclusion est claire :
Aucune preuve archéologique de leurs affirmations
...
*La carte archéologique de la Gaule est une collection co-éditée par la Direction du Patrimoine et de l’Architecture, le Ministère de la Recherche et la Maison des Sciences de l’Homme.
Elle est composée d'ouvrages écrits par des historiens de l'antiquité qui font un inventaire complet de toutes les connaissances et publications sur les sites archéologiques par départements et par commune.

Que peut-on en dire ?
- Voie romaine, chemin vicinal antique, sentier gaulois, on se trouve en pleine confusion sur les termes employés qui désignaient pourtant des éléments différents et complémentaires du réseau routier gallo-romain.

Appeler voies romaines toutes les voies de l'antiquité est non seulement faux mais réducteur parce que c'est ignorer la complexité du réseau des chemins gallo-romains.
- Surtout : La stèle de Rudesse est loin de ressembler absolument aux bornes milliaires dont plusieurs centaines existent encore en France et dont beaucoup de photos sont disponibles sur Internet.
Des exemples de bornes ici : répertoire de bornes milliaires en France
-
La capitale gauloise des Namnètes devient en 50 AV JC une civitas soumise sous Jules César. Elle s'appelle Condevicnum, peut être une ville indigène située plus en hauteur que la ville plus romaine nommée Portus Namnetus, concomitance courante dans le nord de la Gaule à cette époque
.
- Il est admis que Condevicnum, capitale des Namnètes, était Nantes.
Au Ve siècle avant J.C., le navigateur grec Pythéas mentionnait Corbilo comme le plus grand port gaulois après Marseille. Beaucoup de chercheurs ont depuis vainement tenté de le localiser. La thèse la plus couramment défendue aujourd'hui est celle d'un ensemble multipolaire (Estuarium).
- Enfin Portus Namnetum, c'est à dire le port des Namnètes, désignait le port de Nantes et non Rohars ...

Utiliser le terme générique de voie romaine serait, après tout, sans grande importance si certains ne s'en servaient pas pour justifier la nature de notre pierre dressée.
Il importe donc de bien préciser ce que l'on devrait appeler voie romaine justifiant la présence de bornes d'itinéraires, dites milliaires, tout le long de son parcours.
Les voies romaines

Les voies romaines étaient des routes impériales qu'il ne faut pas confondre avec des pistes gauloises ou même des chemins secondaires du réseau vicinal* de l'antiquité.
Tracées à partir de la capitale de l'Empire romain, elles sont à l'origine de l'expression "Tous les chemins mènent à Rome".
*vicinal veut dire voisin en latin et le réseau vicinal relie les villages.

Elles étaient construites par les légionnaires romains avec des populations locales soumises et des esclaves comme main d'œuvre.
Elles avaient pour but de relier entre elles les grandes agglomérations, camps militaires, établissements importants de l'Empire.

Or c'est le long de ces voies romaines impériales que l'on trouvait des bornes d'itinéraires tous les mille romains.

Si chez nous il est évident qu'au moins un chemin permettait l'accès à la Loire à l'époque gallo-romaine, peut être relié à Blain, on ne peut parler de voie romaine qui justifierait l'existence de bornes milliaires.
Or précisément ce qui nous intéresse ici c'est d'apporter des éléments de réponse à cette question : Que peut être cette pierre ?

Le réseau des chemins, pistes ou sentiers gaulois étaient important et César reconnaît implicitement l'avoir utilisé. Il a été souvent complété ou réutilisé par les habitants de l'antiquité, romains et gaulois, pour tracer des chemins vicinaux (via vicinalis) ou même des routes privées (via privata).
Les traces de chemins empierrés qui auraient été observées chez nous ne peuvent concerner que des élément d'un réseau vicinal et qui aurait abouti au point le plus haut et le plus avançé dans la Loire c'est à dire La Coquerais ou peut être simplement à la Bouquinais ou la Gautrais près de ... la stèle !
En effet Rohars, dans l'antiquité, n'était sans doute que des rochers qui permettront beaucoup plus tard, au Moyen Âge, le développement d'un port d'estuaire grâce au comblement alluvionnaire.

.
Coupe d'une voie romaine


Haut de page

Une carte, dite de Peutinger, nous renseigne précisément sur les voies romaines.
PEUTINGER géographe et humaniste allemand possédait dans ses collections une table des itinéraires de l'Empire romain, appelée depuis Table de Peutinger, qui lui avait été offerte en 1507 par Celtis Portucius.

Cette table est une copie réalisée par des moines de Colmar au XII° ou XIIIème siècle d'une carte romaine datant du IV° siècle, elle-même probablement la copie remise à jour d'une grande carte du monde peinte sur le portique d'Agrippa à Rome.

On appelle également cette carte Table Théodosienne, car elle représente les routes militaires romaines sous l'empereur Théodose. Grâce à cette carte, miraculeusement conservée et dont l'authenticité ne fait aucun doute, et l'étude d'itinéraires comme l'Itinéraire d'Antonin, nous connaissons très bien le vrai réseau des voies romaines.

Sur cette carte on retrouve bien la voie impériale romaine allant de Nantes à Vannes en passant par Rieux, mais pas de voie de Blain à Rohars. Du reste la ville natale de Bizeul n'est pas mentionnée sur cette carte.
Entre Nantes et Rieux cette voie a pu passer par Blain mais aussi par Savenay et Pontchâteau ce qui pourrait expliquer le décrochage de la carte théodosienne. Peu de traces permettent de se faire une idée précise du parcours de la voie entre Nantes et Rieux. Différents indices toponymiques et une borne signalée à Treillières, interprétée comme milliaire (Carte Archéologique de la gaule), tendraient à pencher plutôt pour un passage dans la région de Blain mais rien n'est prouvé.
Je ne peux m'empêcher de remarquer, avec un peu de malice, que les différentes hypothèses, outre qu'elles se contredisent entre elles, sont souvent liées à l'origine géographique de leur auteur...
Ledoux la trouve à Savenay et Bizeul à Blain, à votre avis d'où sont-ils originaires ?

Haut de page

La carte de Peutinger des vraies voies romaines.

1 - Nantes
2 - Vannes
3 - Carhaix
4 - Angers
: Portus Namnetum
: Darioritum
: Viorgium
: Juliomagus

5 - Tours          
6 - Rennes       
7 - Rieux  (Morbihan)
8 - Brest
: Caesareodunum
: Condate
: Duretia
: Gesocribate
La voie allant d'Angers à Rennes passait par Combaristum (Combrée ou Châtelais) et Sipia (sans doute Veisseche près de la Guerche de Bretagne). Il n'y a donc pas de Voie Romaine allant de Nantes à Rennes comme on l'affirme quelquefois. Entre les grandes voies AngersRennes et Angers -Nantes–Vannes ne peuvent donc exister que des voies secondaires vicinales.

Haut de page

Les bornes milliaires

Borne milliaire de Brimont, dans la Marne sur la voie Reims-Bavay

A l'empereur César Marcus Piavonius Victorinus le pieux, l'heureux, l'invaincu, le vénéré, au grand pontife, au consul avec puissance tribunitienne, au père de la Patrie, au proconsul. De la cité de Rèmes 4 lieues

Les bornes milliaires* jalonnaient les véritables voies impériales romaines.
* et non militaires comme il est parfois dit... même si les voies, elles, avaient une fonction militaire importante
Ces bornes marquaient tous les mille pas romains, c'est à dire à peu près 1481m, chaque pas représentant deux enjambées.
Elles servaient autant à la signalisation routière qu'à la gloire de l'Empereur qui avait construit la Via Romana ou l'avait restaurée.

Implantées sur l'ensemble du parcours elles avaient des dimensions imposantes et pouvaient peser jusqu'à 2 tonnes. Elles portaient des inscriptions, la plupart du temps gravées en creux sur la borne elle-même. Elles étaient de forme cylindrique et se trouvaient précisément au bord de la voie.

Le texte comportait un certain nombre de renseignements pour le voyageur :
• Le nom de l'Empereur à l'origine de la campagne de construction ou de réfection.
• Les honneurs rendus à ce dernier en énumérant les différents titres ou distinctions.
• La distance parcourue depuis la dernière ville la plus importante (en province) ou depuis Rome (en Italie)

En fait, à Bouée, nous sommes un peu en présence du problème de la poule et de l'œuf :
Est-ce la poule qui a fait l'œuf ou l'œuf qui a fait la poule ?
D'aucuns affirment qu'il y avait une voie romaine à Bouée puisqu'il y a une borne milliaire et d'autres que la stèle est forcément une borne milliaire puisqu'il y avait une voie romaine ...
Tout ceci, bien sûr, sans apporter d'éléments concrets puisque tous ne font que rapporter les dires de Ledoux...
Aucune découverte, aucun vestige, aucune analyse sur le terrain ne permettent d'étayer une telle hypothèse.
Au contraire beaucoup d'arguments vont à l'encontre du passage à Bouée d'une voie impériale romaine et donc d'une borne milliaire.

 

Haut de page

Quelques bornes milliaires retrouvées en France


Bourges


Cenon

Chelles

Consac

Frénouville

Vichy
On ne peut pas dire, comme Barthélémy, que la pierre de Rudesse a absolument l'allure d'une borne de voie romaine !

 

De quoi s'agirait'il ?

Ce n'est pas un menhir du néolithique, là dessus tout le monde est aujourd'hui d'accord*.
Une borne milliaire ? Non.

Résumons :

1 - La voie romaine impériale la plus proche allait de Nantes à Vannes par Rieux et ne pouvait pas passer par Rohars qui devait être la plupart du temps inaccessible par la terre ferme dans l'antiquité en tout cas à marée haute.
2 - Les chemins du réseau secondaire n'avaient pas de bornes milliaires qui se trouvaient le long des voies financées et construites par l'empereur. Ce sont d'ailleurs souvent grâce à la découverte de certaines rescapées que l'on a pu préciser le parcours des voies de la carte de Peutinger.
3 - La pierre elle-même ne laisse pas penser qu'il s'agit d'une borne longeant une voie impériale, pas d'inscriptions, un façonnage trop grossier pour une borne d'itinéraire. Seul Barthélémy a cru voir une borne milliaire dans notre pierre et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'est pas pris très au sérieux par les spécialistes.
4 - Aucune observation sur le terrain n'a révélé de traces de voie antique le long de cette stèle ni d'ailleurs autre part à Bouée. Les traces qui auraient été observées par les habitants ne pourraient concerner que des chemins ou pistes et d'autre part aucun archéologue n'a jamais publié de résultats de relevés de chemin antique sur la commune de Bouée.
De même que les routes actuelles ne sont pas toutes des autoroutes, les voies de l'antiquité n'étaient pas toutes des voies romaines !

*En tout cas ceux qui se sont donné la peine de venir l'étudier sans se contenter de lire la carte IGN.

Alors si cette pierre n'est ni un menhir, ni une borne milliaire que pouvait-elle être ?

L'historien Dominique Frère apporte la réponse :
En Bretagne et en Mayenne, nous découvrons, à la croisée des chemins, dans le centre des bourgs ou dans les cours de ferme, des pierres dressées du second Age du Fer.
En granit ou en gneiss, elle sont souvent confondues avec des menhirs néolithiques. Elles ne présentent pourtant pas la même forme irrégulière puisqu'elles firent l'objet d'un véritable travail de sculpture, avec débitage, taille et parfois polissage de la surface. Le tailleur de pierre laissait la partie inférieure, appelée embase, brute de taille, car elle était destinée à être fichée en terre. Ce n'est donc que la partie supérieure qu'il sculptait, une grande variété étant donnée aux dimensions et aux profils.
Quelle était leur fonction et quel témoignage nous apportent-elles sur la civilisation celto-armoricaine du second Age du Fer?
Il fut longtemps difficile de répondre à ces deux questions pour la bonne raison que ces stèles furent la plupart du temps déplacées, christianisées, et qu'elles ne possèdent plus de contexte archéologique. Toutefois, on sait maintenant que ces stèles servaient à marquer les sépultures puisque l'on a retrouvé l'association stèle-nécropole à plusieurs reprises. Ces sépultures sont très diversifiées, avec parfois la réutilisation de structures antérieures du premier Age du Fer comme les sépultures circulaires, soit des constructions de 8 à 15 m de diamètre, d'élévation tronconique, contenant à l'intérieur des fosses ou des tombes à coffres avec des vases à incinération. Dans ce cas, c'est le tumulus lui-même qui signale ces tombes. Il existe aussi des tumulus à inhumation. Mais ce sont dans les cimetières à tombelles qu'étaient utilisées les stèles.
Par Dominique Frère

Docteur en Histoire ancienne, enseignant en Histoire, Archéologie et Histoire de l'Art à l'université de Lorient
dominique.frere@univ-ubs.fr

La stèle de Rudesse pourrait donc marquer une sépulture gauloise?
J'ai contacté Mr Frère en lui soumettant mes recherches et en lui transmettant des photos de notre menhir.

Voici sa réponse en date du 14 février 2005

“Cher Monsieur, Il s'agit d'une stèle funéraire du second âge du Fer nombreuses en Armorique et dans ses marges (Mayenne...). Vous trouverez une typologie de ces stèles, même si cet ouvrage concerne un autre département, dans: Daniel Tanguy, Les stèles de l'Age du fer dans le Morbihan : les arrondissements de Lorient et Pontivy, Rennes, 1997 *.
La présence d'un stèle funéraire ne signifie pas obligatoirement la présence d'une tombe, puisque nombre de ces stèles ont été déplacées aux XIXe et XXe s. pour des raisons d'aménagement."

Salutations distinguées, Dominique Frère

* Je me suis procuré cet ouvrage ainsi qu'un autre dans la même collection "Les stèles de l'âge du fer dans le Morbihan - arrondissement de Vannes - Joël LECORNEC"

J'ai également été contacté en 2017 par monsieur Axel LEVILLAYER, archéologue, qui s'est déplacé à Bouée sur le site de Rudesse. Il a confirmé la nature de la stèle et m'a informé qu'il mène une recherche sur les stèles gauloises du département.

Monsieur Monnié.
Archéologue au Département, spécialiste de l’âge du Fer, je me permets de vous contacter au sujet d’un article en ligne sur votre blog, mis en ligne voici 10 ans, et concernant la stèle de Rudesse.
L’article est très bien fait et on ne peut que se réjouir de voir publié du contenu tenant scientifiquement la route.
Je mène actuellement un projet de recherche portant justement sur les stèles de l’âge du Fer du département, dans le but d’en dresser un inventaire critique et analytique ayant tout à la fois pour but de les étudier dans leur cadre régional, mais aussi de les protéger en les portant à la connaissance du public.

Bien cordialement,

Axel LEVILLAYER
Département de Loire-Atlantique
Archéologue Responsable d'opération
Grand Patrimoine de Loire-Atlantique
(Musée Dobrée - sites patrimoniaux départementaux - pôle Archéologie - laboratoire Arc’Antique)
Direction culture

Les indications de Dominique Frère et d'Axel Levillayer ne nous laissent plus aucun doute, il s'agit donc bien d'une stèle gauloise funéraire.

On ne peut évidemment pas exclure un déplacement de la pierre hors de son contexte.
Lorsque l'on analyse l'évolution de l'estuaire on s'aperçoit que, dans l'antiquité, l'emplacement de la stèle se trouvait près de la limite de l'estuaire de la Loire et dans un abri.
Ce lit est aujourd'hui comblé par les alluvions et a été mis en évidence, entre autres, par des photos satellite.


carte établie à partir de photos Spot3

Elle pourrait donc avoit été placée pour la navigation ou être un repère géographique marquant l'accès au fleuve.

Stèle funéraire du second âge du fer devenue borne pour la navigation ou simplement borne de repère ?

Il faut savoir que notre stèle n'a rien d'exceptionnelle puisqu'il en existe à peu près un millier rien que dans le Morbihan !

Et maintenant jugez en vous-même... avec ces photos

Menhir de Granson

Stèle gauloise de l'âge du Fer
Saint Vincent sur Oust (56)

Borne milliaire
30 BERNIS (photo archeolyon
)

"Notre pierre" de Rudesse

Alors, à quoi ressemble t'elle ?

à un menhir, une borne de voie romaine (milliaire) ou à une stèle gauloise... ?

Les photos des stèles de St Vincent s/Oust et de St Avé sont tirées de l'ouvrage
Les stèles de l'âge du fer dans le Morbihan - arrondissement de vannes de Joël lecornec édité par l'Institut culturel de Bretagne - Préhistoire - université de Rennes 1

A noter que les stèles de l'âge du fer peuvent avoir des tailles extrèmement variées mais elles sont caractérisées par leur dégrossissage et surfaçage . Elles varient de 30 cms de haut à 2m (hors sol) suivant leur forme et leur section, circulaire ou polygonale.


Stèle gauloise
Saint Avé - Ruliac
La stèle de Bouée se trouve être dans la catégorie des grandes stèles circulaires, les moins nombreuses, qui ne dépassent généralement pas 1,50m, soit a peu près la taille de notre "pierre debout".

D'autres stèles gauloises


Stèle d'Alexain (53)


Stèle de Plumergat (56) située dans l'enclos de l'église paroissiale de Plumergat, Elle comporte l'inscription suivante : "Vabros a dressé (ceci) aux Pères de la borne (ou du pays) pour Giapos fils de Durnos".
Ecrite en capitales romaines, elle est composée de 6 mots gaulois.

Voir la page où se trouve la photo


Stèles de Marcillé (53)

Conclusion

Il s'agit donc bien d'une stèle gauloise du second âge du fer, le doute n'est plus permis.
A t'elle été déplacée ? l'avenir nous le dira peut-être.
Si elle ne l'a pas été cela signifierait que nous pourrions trouver des vestiges de tombes.
En tout cas cette Grande Pierre Debout mériterait que l'on s'y attarde en se débarrassant des idées préconçues
.

Ne parlons plus d'une voie romaine de Blain à Rohars en se justifiant par la présence d'une supposée borne milliaire (ou militaire !). Rcherchons plutôt sur le terrain la réalité de l'accès à la Loire depuis l'Antiquité jusqu'à la fin des invasions normandes au niveau de Bouée.

NOTA - Barthélémy prétend aussi qu'en mesurant la distance de Blain jusqu'à la stèle on trouve aussi exactement que possible en la circonstance (?), admirons la formule, 15 milles romains soit environ 22km215. Vu la marge d'approximation, qui est de 1km481, il est très facile de trouver la distance voulue compte tenu que l'itinéraire exact du chemin antique supposé reste flou.
Au XIXème siècle, dans leur enthousiasme, les archéologues avaient tendance à voir des voies romaines un peu partout et de fait les moindres tronçons de chemin gaulois se retrouvaient un peu vite affublés du nom de Via Romana.
Aujourd'hui des études on permit de préciser plus justement la nature complexe du réseau routier gallo-romain.

Haut de page

Mes sources et bibliographie

Comme souvent j'ai "honteusement" (et sans aucun remords...) puisé dans des sites Internet beaucoup de mes informations et images sur les voies romaines, bornes milliaires et stèles que j'ai pu ainsi largement recouper avec de la documentation personnelle.<
Merci en tout cas à tous les contributeurs involontaires
.
Un site pour mieux connaître les voies romaines et les bornes milliaires
http://www.archeolyon.com/
les tables de Peutinger, cartes des voies romaines, sont en ligne:
http://www.fh-augsburg.de/~harsch/Chronologia/Lspost03/Tabula/tab_pe00.html

Bibliographie
- Bulletin de la Société Archéologique de NANTES et du Département de la Loire-Inférieure N° 1 - LJM BIZEUL
- Bulletin de la Société Archéologique de NANTES et du Département de la Loire-Inférieure N° 14 - F. LEDOUX

- Bulletin de la Société Archéologique de NANTES et du Département de la Loire-Inférieure N° 21 - Pitre de LISLE DU DRENEUC

- Carte Archéologique de la Gaule - Michel PROVOST
- Bulletin de la Société Archéologique de NANTES et du Département de la Loire-Inférieure N° 65 - Une cité ignorée : La Ville de Rohars - D. Barthélémy
- Bulletin de la Société Archéologique de NANTES et du Département de la Loire-Inférieure N° 49 - La Conquête de la Basse-Loire par le réseau des voies romaines - Léon Maître
- Les stèles de l'âge du fer dans le Morbihan - arrondissement de Vannes - Joël LECORNEC